Le père travaille à plein temps, la mère à temps partiel: c’est de loin le modèle d’activité professionnelle préféré des familles en Suisse. Pourquoi est-il aussi attractif?
Dans le passé en Suisse, la tradition voulait que le père travaille à plein temps et que la mère reste à la maison avec les enfants et s’occupe des tâches ménagères. Aujourd’hui, ce modèle n’est plus choisi que par 18,5 à 21% des familles ayant des enfants de moins de 25 ansLien externe. Et désormais, le père travaille à plein temps et la mère à temps partiel dans la moitié des familles (entre 46 et 53,6%Lien externe, selon les critères considérés).
Nous avons rencontré un couple qui a choisi ce modèle d’activité et nous lui avons demandé quels en étaient les avantages et les inconvénients.
Le père Martin* travaille à 100% comme technicien en bâtiment et la mère Simone* à 40% comme assistante socio-éducative. Ils ont une fillette de deux ans. Un deuxième enfant verra le jour en mars. Le couple est marié (voir encadré).
«Au départ, je pensais réduire mon temps de travail parce que je trouve important de passer du temps avec ma fille», raconte Martin. Mais son chef n’était pas d’accord. «Il avait peur que je ne puisse pas faire ma part de travail en moins de temps – et que d’autres veuillent aussi travailler à temps partiel.» Finalement, le chef est lui-même venu avec une idée: «Que j’effectue mon 100% en quatre jours et demi de manière à ce que je puisse passer un après-midi à la maison. Si je ne parviens pas à remplir mon pensum, les heures faites en moins me sont déduites du salaire à la fin de l’année.»
Simone travaille en équipes dans un home pour enfants du mardi après-midi au mercredi à midi, nuit comprise. Pendant ses absences, Martin et les grands-parents s’occupent de la fillette.
Tous deux sont satisfaits de ce modèle. Simone n’a cependant plus autant de responsabilités qu’avant dans son travail, mais elle considère que de toute façon, on ne fait pas carrière au sens classique dans sa profession.
Pourquoi pas tous deux à plein temps?
Il est plus courant dans d’autres pays que les deux parents travaillent à plein temps. Alors que 14% des couples adoptent ce modèle en Suisse, ils sont 26% à le faire en Allemagne. Cette proportion est encore plus élevée aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France. Selon l’Office fédéral de la statistique, il n’est pas possible de dire si les «deux partenaires à plein temps» choisissent ce modèle en raison de contraintes financières ou parce qu’ils sont hautement qualifiés et font carrière.
Depuis que leur taux d’activité est descendu à 140% au total, Simone et Martin paient moins d’impôts. D’une certaine manière, il est avantageux qu’un des conjoints ne travaille pas trop. Dans certains cantons, la progression fiscale peut absorber chez les couples mariés une grande partie du revenu supplémentaire. «Si mon épouse travaillait davantage, il nous faudrait en plus payer une garderie d’enfants, Nous serions ainsi doublement pénalisés», dit Martin.
Ils apprécient tous deux que Simone puisse travailler relativement peu. «Nous avons beaucoup de chance que ça marche», dit-elle. Martin ajoute: «Grâce aux bons salaires en Suisse, de nombreux couples peuvent se permettre qu’un des conjoints ne s’engage qu’à temps partiel.»
Pourquoi pas pourvoyeur et ménagère?
Le fait que la mère conserve un emploi à temps partiel et ne quitte ainsi pas totalement la vie professionnelle – comme c’était le cas dans le modèle du pourvoyeur unique – a l’avantage d’offrir une meilleure sécurité en cas de maladie, d’invalidité ou de décès: «À moyen ou à long terme, il est avantageux de garder un pied dans la vie professionnelle», dit Romina Mutter, spécialiste en prévoyance chez VZ VermögensZentrum. «Même si elle ne travaille qu’à temps partiel, la mère verse des contributions à l’AVS et à la caisse de pension. Elle peut aussi constituer un 3e pilier, ce qui ne serait pas possible si elle ne travaillait pas.»
Le modèle à un seul revenu présente en outre l’inconvénient de concentrer la prévoyance sur une personne. «Si le père devait mourir peu après la retraite, la veuve ne toucherait qu’une partie de la rente de vieillesse. C’est pourquoi il vaut mieux répartir l’avoir de vieillesse de manière plus équilibrée grâce à une activité à temps partiel», dit Romina Mutter.
Simone n’a d’ailleurs jamais envisagé de cesser totalement de travailler. «D’un point de vue financier, il est clair que ce n’est pas indispensable. Mais je venais de terminer ma formation. Et mon travail me permet de voir autre chose et de garder un pied dans la vie professionnelle.»
Tous les membres de la famille profitent du fait qu’elle poursuive son activité professionnelle. «Cela fait du bien à notre fille que je ne sois pas la seule à m’occuper d’elle. Et c’est bon pour mon époux parce qu’il peut passer du temps seul avec l’enfant et le faire à sa manière sans que je m’en mêle.»
Le salaire que son emploi à 40% lui rapporte constitue en outre un complément bienvenu qui leur permet d’améliorer leur qualité de vie avec des vacances et un grand appartement. «Nous sommes plus indépendants au niveau financier», remarque Martin.
Le couple ne croit d’ailleurs pas qu’il soit généralement devenu impossible de nourrir une famille avec un seul salaire en Suisse: «Cela dépend du revenu et de ce qu’on désire», dit Martin. Et ils ne sont pas convaincus par la thèse qui veut qu’il y ait en Suisse autant de femmes qui travaillent à temps partiel parce qu’un revenu complémentaire serait indispensable et font valoir que celui-ci est en grande partie absorbé par les impôts et les frais de garderie.
Pourquoi pas deux temps partiels?
Bien qu’il soit régulièrement présenté comme la voie royale pour concilier travail et famille, le modèle où les deux conjoints travaillent à temps partiel n’est choisi que par 4,8 à 7,2% (suivant les modes de calcul)
Cela vient-il du fait que les familles ne sont pas prêtes à accepter doublement les inconvénients du travail à temps partiel – par exemple pour la rente vieillesse? Dans certaines caisses de pension, les revenus à temps partiel sont désavantagés par ce qu’on appelle la déduction de coordinationLien externe. En outre, une personne employée à plein temps est mieux assurée contre la maladie, les accidents et la vieillesse. Martin le dit également: avec son 100%, il n’a pas de soucis à se faire lorsqu’il a la grippe. En revanche, lorsqu’ils sont malades, les employés à temps partiel accumulent des heures négatives qu’ils doivent ensuite rattraper.
Martin voit encore une autre raison pour expliquer la faible proportion de pères qui choisissent le temps partiel. «Lorsque la femme travaille peu ou pas du tout, l’homme ne peut pas réduire son pensum pour des motifs financiers», dit-il. Il est prisonnier de son rôle de pourvoyeur.
Et pourquoi pas l’inverse?
En Suisse, seules 2,2% des famillesLien externe font le contraire, à savoir que la mère travaille à plein temps alors que le père reste entièrement à la maison ou n’a qu’une activité restreinte. «Il n’y a pas vraiment de raisons concrètes pour expliquer le manque de succès de ce modèle, dit Romina Mutter. C’est certainement une question historique avec une dimension socio-culturelle». Selon une étudeLien externe, les hommes rencontrent des problèmes psychologiques quand l’épouse gagne plus qu’eux.
La famille que nous avons rencontrée n’a, elle non plus, jamais envisagé ce modèle inversé: «Il était clair depuis le début que je réduirais ou resterais à la maison et qu’il continuerait à travailler – et pas l’inverse, dit Simone. Et pour moi, il a toujours été évident que je ne travaillerais pas à plein temps à partir du moment où j’aurais des enfants.»
En plus, ce n’était pas possible autrement: «Si j’avais travaillé à plein temps, mon salaire n’aurait pas suffi pour nourrir la famille», dit Simone. Il y avait donc de solides raisons financières pour que la mère n’assume pas le rôle de pourvoyeuse. «Mon mari gagne plus que moi et cela sera toujours comme ça», dit Simone. Martin est un peu plus âgé, a une plus grande expérience professionnelle et travaille dans un secteur où les salaires sont plus élevés.
Simone relève en outre qu’il est plus facile de trouver un emploi à temps partiel dans sa profession. Et Martin ajoute: «Les femmes sont traitées différemment des hommes. On est moins surpris qu’elles demandent de travailler à temps partiel. Lorsqu’un homme le fait, les gens sont plutôt consternés».
C’est pourquoi le modèle «homme à plein temps/femme à temps partiel» présente à ses yeux un autre avantage: il suscite moins de discussions. «On est moins forcé de se justifier», estime-t-il. Mais c’est aussi une solution de facilité et donc, selon lui, une forme d’injustice.
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