Très médiatisée, la famille nombreuse n’est de loin pas la norme en Suisse. Le taux de fécondité a même chuté. Le désir d’enfant est pourtant resté stable depuis 25 ans. Explications et témoignage.
La téléréalité a jeté un coup de projecteur sur les familles XXL. Mais la vie des familles suisses est bien éloignée de ce modèle. Le taux de fécondité s’élève dans notre pays à 1,39 enfant en moyenne, bien en-deçà du niveau de renouvellement de la population évaluée à 2,1. Les Suisses ne veulent-ils donc plus d’enfants ? Les données de l’Office fédéral de la statistique montrent le contraire: 53% des 20-29 ans rêvent d’avoir deux enfants, et environ un quart souhaitent trois enfants ou davantage. Dans les faits, 25% des personnes n’ont pas d’enfant et seuls 19% des ménages avec enfants en ont trois ou plus. Il y a donc décalage entre désir et réalité. Avant l’arrivée du premier bébé, les critères déterminants énoncés sont la qualité de la relation de couple, l’état de santé des deux partenaires et la répartition des tâches ménagères et soins aux enfants.
Conciliation travail-famille
D’autres facteurs viennent contrecarrer les aspirations familiales. L’âge moyen des mères à la naissance de leur premier bambin s’est élevé et dépasse désormais 31 ans, réduisant les chances de grande famille. La conciliation travail-famille demeure aussi un écueil. Les parents en activité mentionnent comme obstacle des horaires longs, peu adaptés, voire imprévisibles, ou encore de longs trajets. «Il est nécessaire d’offrir de meilleures conditions cadres aux mères qui travaillent », affirme Philippe Gnaegi, directeur de Pro Familia Suisse. Et de poursuivre: «Il faut davantage de structures d’accueil et à des tarifs plus bas.»
Le nerf de la guerre semble néanmoins l’argent: «Selon le 2e baromètre des familles, les raisons financières influencent la décision d’avoir un nouvel enfant pour plus de 40% des familles», relève Philippe Gnaegi. Or, avoir un enfant a un coût, direct pour ce qui concerne notamment les dépenses de consommation, et indirect avec par exemple la diminution du taux d’activité, principalement des femmes. Les aides étatiques, comme les allocations familiales, tendent à le réduire, mais ne le compensent pas. «Les frais de garde sont beaucoup trop élevés, souligne l’ancien conseiller d’État libéral-radical neuchâtelois. Le coût de l’assurance-maladie est aussi très lourd pour les familles. On pourrait envisager des rabais supplémentaires pour les enfants ou adolescents, et pourquoi pas, imaginer un forfait famille.»
Les revenus sont en effet équivalents pour une famille avec ou sans enfant. Selon le rapport statistique 2021 des familles de l’OFS, plus les enfants sont nombreux, plus le revenu disponible diminue, et donc le niveau de vie. Le revenu est en effet à diviser par un plus grand nombre de personnes et le taux d’activité des mères s’abaisse avec le nombre d’enfants. Ainsi, 52% des familles jugent leur revenu insuffisant ou à peine suffisant, d’après le baromètre. Cela implique parfois des privations matérielles et, dans le cas des grandes familles, souvent un logement surpeuplé. «Les familles nombreuses sont un peu les oubliées de la politique familiale suisse», constate le directeur de Pro Familia, saluant par ailleurs les prestations complémentaires pour familles adoptées dans cinq cantons.
Taux de satisfaction
Côté ressenti, difficile de chiffrer les petits bonheurs du quotidien. L’enquête 2021 de l’OFS démontre néanmoins qu’avoir des enfants n’influence guère le taux de satisfaction à l’égard de la vie actuelle. Les familles sont moins satisfaites que les couples sans enfant en matière de situation financière, vie en commun, activités de loisirs et durée du temps libre.
La faible natalité n’est pas une exception suisse. Elle est générale en Europe. Toutefois,l’écart de niveau de vie à mesure que la famille s’agrandit est plus important dans notre pays. En pourcentage du PIB, la part des dépenses sociales consacrées aux familles et enfants est aussi inférieure à la moyenne européenne. «Il y a beaucoup à faire en matière de politique familiale en Suisse, juge Philippe Gnaegi. Une société sans enfant est une société qui se meurt.»
Un article de Isabelle Chappatte publié le 19.11.2024 dans Coopération