Alors que la grande majorité des jeunes veulent des enfants, le taux de natalité atteint un seuil historiquement bas. Selon les experts, une politique familiale au niveau national permettrait de renverser cette tendance.
On observe depuis des décennies en Suisse que les femmes ont moins d’enfants que ce qu’elles souhaitaient étant jeunes. Aujourd’hui encore, fonder une famille fait partie du projet de vie de la grande majorité des jeunes. Un quart d’entre eux désirent avoir trois enfants ou plus, selon l’Office fédéral de la statistique (OFSP). Dans l’ensemble, les jeunes femmes et les jeunes hommes espèrent en moyenne avoir 2,2 enfants. Ce chiffre correspond au taux de naissance qui serait nécessaire pour maintenir la population à son niveau actuel à long terme. Mais depuis des décennies, le taux réel est inférieur: il s’établit aujourd’hui au chiffre historiquement bas de 1,3 enfant par femme.
«Il y a urgence à agir», alerte Philippe Gnaegi, directeur de Pro Familia. «Notre société ne se renouvelle plus, avec toutes les conséquences que le vieillissement démographique entraîne en matière sociale et économique». Les causes de la baisse de fécondité sont multiples: aspects financiers, environnement international, peur de l’avenir, manque de conditions-cadres pour faciliter la conciliation «travail-famille». Mais il est évident pour Pro Familia qu’une politique familiale efficiente aurait des incidences sur le taux de fécondité. Par la mise à disposition de plus de structures d’accueil à des tarifs plus abordables et par l’introduction d’un congé parental.
Parmi les derniers de classe
«Les entreprises ont aussi un rôle central à jouer, en offrant davantage de flexibilité aux parents dans la conciliation de leurs vies professionnelle et familiale. Mais pour envisager une inflexion de la dynamique, il faut surtout revaloriser la place de la famille, des parents et des enfants dans la société», soulève Philippe Gnaegi.
En Suisse, on constate un vide relatif en matière de politiques familiales, en particulier celles destinées à aider les parents à concilier travail et famille. Les statistiques de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), comparant les pays européens, les Etats-Unis et le Canada, indiquent que la Suisse est en queue de peloton en termes de soutien financier aux familles, par le biais de subsides et de réductions d’impôts. Elle arrive en dernière position des 33 pays de l’OCDE en matière de dépenses publiques pour les enfants de zéro à 5 ans et en dernière position en ce qui concerne le nombre de semaines payées et protégées de la perte d’emploi après une naissance. Elle apparaît également en avant-dernière position, juste avant la Grèce, en ce qui concerne les dépenses publiques pour la garde préscolaire.
Ces indicateurs très défavorables doivent être relativisés, puisque l’essentiel des efforts est assuré au niveau cantonal et n’est donc pas mesuré dans ces indicateurs. Les cantons urbains offrent des possibilités de garde extra-familiale beaucoup plus développées, mais contrairement aux pays anglo-saxons, l’offre privée de garde est peu présente et extrêmement chère en Suisse, du fait du coût élevé de la main-d’oeuvre.
«Un couple disposant d’un revenu moyen doit dépenser en Suisse entre le tiers et la moitié d’un salaire pour payer l’accueil extra-familial de deux enfants», relève un document de l’Unicef y relatif. «Il est donc souvent plus coûteux pour le ménage que la mère travaille plutôt qu’elle s’occupe de ses enfants, malgré la perte d’un salaire supplémentaire que ce dernier cas de figure implique», conclut un rapport du Fonds national suisse sur la diversité des familles et le bien-être en Suisse.
Charge mentale
Le canton de Vaud fait office de bon élève avec un taux de couverture d’accueil préscolaire de 31,4%, dont 24,6% assurés par les structures subventionnées. Alors que le taux de couverture théorique suffisant pour la conciliation est, en moyenne et au niveau cantonal, de 40%. Le taux de couverture parascolaire, pour accueillir les enfants en dehors des heures et jours d’école est de 16,8%, dont 15,8% assurés par les structures subventionnées. Selon les communes, le taux d’accueil varie considérablement: 10% à Sainte-Croix contre plus de 50% à Nyon.
A Vevey, la municipale Laurie Willommet s’occupe de ces questions, elle est par ailleurs présidente de la faîtière des réseaux d’accueil de jour des enfants. Pour elle, le manque de places en crèches met une pression intolérable sur les femmes qui doivent souvent annoncer leur grossesse aux structures avant même d’en parler à leur famille. «Le but à atteindre, c’est la garantie d’une place d’accueil par enfant, comme on le fait pour l’école. Cela enlèverait une charge mentale aux femmes et encouragerait la natalité. On doit également offrir plus de flexibilité aux familles: aujourd’hui, si les deux parents ne travaillent pas à 100%, il est encore difficile de placer leur enfant».
L’autre bataille, ce sont les coûts. «Vaud apparaît comme le meilleur canton suisse dans l’accueil des enfants, mais le système financier doit être revu: 40% des frais incombent aux parents, ce qui peut vite faire des sommes phénoménales, les communes supportent elles aussi beaucoup et ça ne peut pas durer. Il s’agit d’avoir enfin une prise en charge de la politique familiale par la Confédération».
Si la Suisse se situe parmi les pays au monde ayant les indices de niveau de vie et de satisfaction les plus élevés, avec des infrastructures publiques de qualité, elle reste un pays où il est manifestement difficile de faire famille. Ce sont le plus souvent les femmes au bénéfice d’un niveau de formation élevé qui ne parviennent pas à réaliser leur souhait initial de fonder une famille en raison de la difficulté à concilier les tâches familiales et une carrière professionnelle, relève l’OFSP.
Sous la coupole fédérale, la question n’a jamais été une priorité, déplore la présidente des Vert·e·s Lisa Mazzone. «Il n’existe pas de véritable politique familiale au niveau fédéral, la majorité estime que ce n’est pas un thème suffisamment digne d’intérêt et, du coup, d’investissement».
L’indispensable congé parental
L’ancienne sénatrice appelle au lancement d’une initiative populaire pour un congé parental national paritaire entre les parents. Les alliances qui soutiendront ce projet sont en train d’être créées, le nombre de semaines est en discussion. «On dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant: aujourd’hui qu’est-ce qu’on met en place en Suisse pour accueillir un enfant, qu’offre-t-on aux familles pour qu’elles puissent concilier vies professionnelle et familiale? Peu de choses en comparaison européenne.»
Pour l’écologiste, le congé parental est une pièce maîtresse de ces politiques, car c’est au moment de l’arrivée d’un enfant qu’on cimente la répartition traditionnelle des rôles. «Trop souvent on entre dans la parentalité en étant un couple moderne, et on en ressort en famille traditionnelle, se désole Lisa Mazzone. La maternité constitue fréquemment une césure dans le parcours professionnel des femmes en Suisse, avec une baisse importante du temps de travail, ce qui les pénalise financièrement jusqu’à la retraite. On ramène cela à des questions privées alors que les conditions dans lesquelles on peut ou non faire ces choix personnels concernent l’entier de la société».
Le canton de Genève a accepté dans les urnes un congé parental de 24 semaines l’année dernière. La modification de la constitution genevoise ne rendra pour autant pas la mise en place de ce congé obligatoire pour les employeurs du secteur privé.
En savoir plus - un article d'Aïna Skjellaug paru le 09.07.2024 dans le journal Le Temps