Le pic de la pandémie de COVID-19 est derrière nous et la situation particulière a été levée en avril. Il est temps de tirer un bilan dans la perspective de genre. Après avoir fait réaliser une analyse genrée des restrictions et des mesures de soutien de la Confédération, la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF présente des recommandations.
Dès le début de la pandémie, il est apparu que la crise n'affectait pas de la même manière les femmes et les hommes. Du jour au lendemain, on a compris l'importance systémique de secteurs professionnels comptant une forte proportion de femmes, comme les soins ou la prise en charge des enfants. Les fermetures d'école et le home office ont mis à l'épreuve l'organisation des familles. Face à cette situation, la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF a demandé au Bureau BASS d'effectuer une analyse d'impact genrée pour déterminer comment les mesures de protection et les aides de la Confédération avaient impacté la vie professionnelle et la vie familiale : quels effets la pandémie a-t-elle eu sur l'emploi, les revenus et la répartition du travail familial ? Les femmes et les hommes ont-ils profité de manière égale des aides fédérales ? L'étude «Genderspezifische Effekte der staatlichen Massnahmen zur Bekämpfung des Coronavirus Covid-19» [Effets sexospécifiques des mesures étatiques de lutte contre le COVID-19] apporte des réponses. Le but était de tirer des enseignements et de formuler des recommandations en vue de futures crises.
Les mesures de lutte contre le COVID-19 se greffent sur des inégalités existantes
L'analyse s'est intéressée à l'impact que des restrictions comme la fermeture des crèches et des écoles ou le home office obligatoire ont eu sur les femmes et sur les hommes. Comme dans d'autres pays, la fermeture des structures d'accueil extrafamilial et des établissements d'éducation a renforcé le partage genré du travail. Les femmes ont assumé davantage de tâches de prise en charge des enfants et réduit leur taux d'occupation. Le home office obligatoire a aggravé les difficultés de conciliation, en particulier, lorsque les conditions-cadre n'étaient pas réglées et que les familles devaient s'occuper des enfants en même temps.
Les perdants de la pandémie sont les femmes ayant des taux d'occupation très bas, les ménages à bas revenus et les personnes employées dans des ménages privés
Grâce à la bonne santé économique du pays et à la décision immédiate de la Confédération d'octroyer des aides financières, de nombreux emplois ont pu être maintenus en Suisse. Toutefois, l'emploi a fortement reculé fortement dans quelques branches. L'hôtellerie-restauration a été particulièrement touchée. La baisse du volume de travail a affecté le plus fortement les femmes travaillant à moins de 50 %. Les aides financières ont également évité une érosion du niveau général des salaires. Néanmoins, des analyses plus poussées montrent que la situation s'est tendue au bas de l'échelle des revenus, avec un fléchissement qui a touché surtout les ménages à bas revenus, et donc un nombre
proportionnellement élevé de femmes. Si l'on étudie les flux de fonds publics, on observe en outre que le secteur des « autres activités de
service » a reçu moins d'aides publiques qu'attendu. Or, ce secteur, qui comprend les services à la personne tels que les salons de coiffure et les instituts de beauté, emploie une forte proportion de femmes. Les personnes indépendantes avaient accès aux allocations pour perte de gain due au coronavirus. On peut toutefois supposer que celles qui travaillent en solo à temps partiel n'atteignaient pas toujours le seuil de revenus exigé, ce qui les a privées de la possibilité d'obtenir des aides. La crise du COVID-19 a été un facteur de précarité surtout pour les travailleuses et les travailleurs exclus des aides COVID, en particulier les personnes salariées par des ménages privés. Il s'agit à près de 90 % de femmes ayant souvent des revenus très bas et un statut non réglé au regard du droit de séjour. Ces femmes n'ont pas obtenu de soutien et ont été tout simplement renvoyées à l'assurance chômage alors qu'elles faisaient partie des groupes particulièrement vulnérables pendant la pandémie.
Des données déterminantes n'ont pas été collectées
Cette fois encore, l'occasion a été manquée de recueillir des données genrées dès le départ. Ainsi, nous ne savons par exemple pas exactement combien d'hommes et de femmes ont reçu des indemnités pour réduction de l'horaire de travail alors que c'est le dispositif de soutien de la Confédération qui a absorbé le plus de ressources (13 milliards de francs jusqu'en 2021). Cela complique non seulement l'analyse, mais également la formulation d'enseignements et de mesures spécifiques adaptées aux genres en vue de futures crises.
L'égalité rend la société plus résiliente
Les mesures de lutte contre la pandémie ont surtout creusé les inégalités de genre existantes. Il est temps de trouver un équilibre dans les rapports entre les sexes. C'est le but des recommandations formulées par la CFQF car plus une société est égalitaire, plus elle est résiliente face aux crises.
Au-delà de ces revendications, la CFQF estime que la Confédération a le devoir fondamental de faire avancer l'égalité entre les genres, d'impliquer des spécialistes de la politique de l'égalité dans sa gestion dès le début des crises ainsi que de collecter et d'évaluer des données
différenciées selon les genres.
Les constats et les recommandations en coup d'œil
1 La fermeture des crèches et des écoles nuit à l'intégration professionnelle des mères.
Il faut développer l'accueil extrafamilial et périscolaire des enfants ainsi que son financement par les pouvoirs publics et assurer sa continuité durant les crises.
2 Le home office obligatoire peut aggraver les difficultés de conciliation.
Il faut définir des conditions-cadre pour le home office et partager égalitairement le travail de care.
3 Évolution de l'emploi : le temps partiel a été particulièrement touché.
Il faut renforcer l'intégration professionnelle des femmes et instaurer pour les parents un droit à réduire leur taux d'occupation après la naissance d'un enfant assorti d'un droit à revenir à leur taux d'occupation initial.
4 Évolution des revenus : les bas salaires ont été particulièrement touchés.
a) Il faut encourager de manière ciblée la requalification des femmes.
b) Il faut revaloriser le travail à bas salaire et garantir une meilleure protection salariale en cas de crise.
5 Accès aux mesures de soutien : les services à la personne sont sous-représentés.
Il faut prendre en compte les besoins des petites entreprises dans les secteurs typiquement féminins.
6 Lacunes dans le filet social : les emplois dans les ménages privés sont exclus.
Il faut prévoir un soutien spécifique pour les personnes employées dans des ménages privés.
7 Impact des indemnités pour réduction de l'horaire de travail : il manque des données déterminantes.
Il faut collecter des données genrées et les évaluer.
8 Les inégalités entre les sexes se sont accrues durant la pandémie.
Il faut concevoir les mesures d'intervention en cas de crise de façon à tenir compte des différences entre les sexes.
9 Les mesures s'appliquent à des situations déjà déséquilibrées.
Il faut accroître l'égalité pour renforcer la résilience de l'économie et de la société.
Étude
Heidi Stutz, Severin Bischof et Lena Liechti : Genderspezifische Effekte der staatlichen Massnahmen zur Bekämpfung des Coronavirus Covid-19 [Effets sexospécifiques des mesures étatiques de lutte contre le COVID-19], Bureau d'études de politique du travail et de politique sociale BASS, Berne : mai 2022, XXI,107 p. (étude en allemand avec synthèse en français).
Recommandations
Commission fédérale pour les questions féminines CFQF : Recommandations concernant l'étude « Effets sexospécifiques des mesures étatiques de lutte contre le COVID-19 », mai 2022.
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