Une nouvelle assurance sociale consacrée à la famille

Un extrait du livre « Histoire, structure et financement des assurances sociales en Suisse avec une introduction à la politique familiale », Ph. Gnaegi et J. Truschner, Schulthess Verlag, Genève-Zürich, 2024.

Historiquement, dans les assurances sociales, la conception de la famille découlait du mariage et de la procréation. L’homme était le chef de la famille et son pourvoyeur financier, la femme s’occupait des tâches domestiques, de l’éducation des enfants et de l’entretien de ses proches, principalement de ses parents et de ses beaux-parents. Dès lors, à l’époque, il ne se justifiait pas de créer une assurance sociale propre à la famille puisque celle-ci visait à couvrir des risques professionnels principalement liés à une seule personne. Si la déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, à son article 16, mentionne que « la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat », le droit suisse des assurances sociales envisage plus cette forme de protection comme indirecte, à travers le(s) membre(s) de la famille qui exerce(nt) une activité professionnelle et qui, par son (leur) revenu, assure(nt) la protection des autres membres de la famille.

Dès la fin du 20e siècle surviennent plusieurs changements durables d’ordre économique et social tels que : l’élévation du niveau de formation des femmes, la baisse durable du taux de fécondité (qui a commencé dans au milieu des années 60), le besoin grandissant pour les femmes de se réaliser à travers une activité professionnelle et celui de  disposer de deux revenus face à l’augmentation des coûts, l’augmentation du taux de divortialité, une volonté sociétale d’assurer l’égalité entre femmes et hommes, un manque de forces de travail dans certains secteurs de l’économie et la volonté d’y répondre en encourageant le travail féminin et celui des personnes plus âgées, un besoin de réalisation personnelle toujours plus important, qui incite par exemple la jeune génération à vouloir concilier davantage les activités professionnelles avec celles familiales et privées, l’apparition de nouvelles formes de familles, l’importance toujours plus grande donnée à l’enfant, le transfert progressif de tâches de politique familiale à la Confédération (même si jusqu’à aujourd’hui cette compétence relève partiellement de celle des cantons ; partiellement car plusieurs domaines de politique familiale sont déjà du ressort de la Confédération comme les allocations familiales, l’assurance-maternité ou l’assurance paternité).

En outre, certains nouveaux risques liés à la famille deviennent aux yeux de la population plus importants et il appartient de les prévenir : le risque de pauvreté, le risque de perte de compétences professionnelles après de longues études, la prise de conscience d’une meilleure intégration du jeune enfant dans la société (d’abord dans son milieu éducatif). Rappelons que la prévention des risques fait souvent l’objet d’un chapitre particulier dans les assurances sociales (assurance maladie, assurance-accidents, assurance chômage).

La proposition de créer une nouvelle assurance sociale centrée sur la famille peut à premier abord faire réagir, d’une part parce qu’elle est totalement novatrice et d’autre part parce que la première réaction de la population risque d’être « combien cela va nous coûter en plus ? ».

Si l’on s’interroge sur le caractère novateur de cette idée qui, à notre connaissance, n’a jamais été proposée, il nous semble important de relativiser les conséquences de cette proposition. En effet, plusieurs risques liés à la famille sont déjà couverts au niveau fédéral mais ont toujours été « ajoutés » à d’autres lois et figurent dans différentes assurances (les allocations pour perte de gain en cas de service, de maternité et de paternité, les allocations familiales, les dispositions particu­lières liées aux enfants, aux survivants, aux chômeurs, etc.). Dès lors l’on peut légitimement se poser la question si la construction historique des différentes thématiques concernant la famille ne devrait pas faire l’objet d’une réflexion plus globale et se retrouver dans une seule loi.

Au-delà de l’aspect d’une meilleure lisibilité des différentes prestations liées à la famille, une nouvelle loi d’assurance sociale concernant la famille permettrait de la reconnaître comme élément naturel, fondamental et durable de notre société. Une nouvelle loi permettrait aussi d’intégrer les nouveaux risques liés à la constitution d’une famille. La définition de la famille, sous ses différentes formes, en serait le premier chapitre puisque l’on en préciserait le champ d’application.

Une autre raison qui nous incite à proposer une assurance sociale relative à la famille est liée à l’évolution économique et sociale. Des influences sociales (comme l’égalité des sexes), économiques (comme une meilleure intégration des femmes sur le marché du travail), individuelles (comme une meilleure conciliation entre l’activité professionnelle et la vie familiale et privée) ou tout simplement l’apparition de nouvelles formes de familles nous montrent que cette dernière répond aujourd’hui plus que jamais à la création d’une nouvelle assurance sociale. Celle-ci permettra aussi de clarifier les compétences fédérales et cantonales, ce qui est déjà le cas dans d’autres assurances sociales (que l’on pense par exemple aux allocations familiales).